Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Friends paradise !

Friends paradise !

Un blog rédigé par des amis rien que pour vous.


Ararat de Atom Egoyan

Publié par Antoine sur 15 Juin 2014, 22:58pm

Ararat de Atom Egoyan

« Et si, comme disait Wenders, les images pouvaient changer le monde ? » dit le slogan publicitaire, à quoi on a envie de répondre : « Et si, comme disait l’autre, à force de vouloir bien faire Atom Egoyan en faisait trop ? ». Avec Ararat il semble vouloir condenser en un tous les films qui n’ont pas été réalisés sur le génocide arménien. Et ça en fait des histoires et des approches différentes pour recouvrir 85 ans de silence et de désaveux, tant médiatiques que politiques ! Et surtout Egoyan, on le sent, ne voulait pas être pris en défaut, pas sur ce film-là, témoignage et hommage à sa civilisation, massacrée en toute impunité.


Alors dans Ararat il y a Edouard Saroyan (interprêté par Aznavour), cinéaste renommé et metteur en scène de Ararat, le film dans le film, reconstitution du massacre en 1915 du peuple arménien par les autorités turques : c’est le film historique que Egoyan en cinéaste de la réflexion et de la réflexivité ne pouvait pas nous livrer tel quel et auquel il ne s’abandonne déjà que trop (les scènes de tortures et de batailles héroïques sonnent creux ainsi placées au cœur du dispositif complexe du film).


Car il y a aussi Ani, spécialiste du peintre Arshile Gorky (lui-même rescapé du génocide) et conseillère technique sur le tournage du film de Saroyan. Elle apporte un oeil critique sur la licence artistique dont fait preuve le cinéaste (non vraiment de cette ville là, le mont Ararat on n’aurait pu le voir). Elle permet au film de passer à un degré supplémentaire d’abstraction : celui de la sublimation du tragique opérée grâce à l’art (qu’elle même pratique assidûment pour surmonter les morts successives de ses deux maris). Mais ne s’agit-il pas d’une dénégation ? Les survivants peuvent-ils continuer comme si de rien n’était et recommencer à vivre dans ce pays tout neuf qu’est le Canada ?


C’est ce que la belle-fille d’Ani se refuse à faire : elle est l’aiguillon dans la chair de sa belle mère et dans celle de son demi-frère Raffi. Celui-ci est le troisième étage de ce film-fusée, il est « le jeune Arménien d’aujourd’hui » qui a grandi dans le souvenir mais sans jamais vraiment comprendre et sans être jamais allé en Arménie. Raffi, qui est le seul à faire le voyage sur les lieux du crime, est le personnage en charge de l’indicible et de l’invisible : il se confronte au fait qu’il n’y a plus aujourd’hui ni traces, ni survivants.


C’est ici que le film se rapproche de sa dimension la plus réussie et qui est à la fois la plus intelligente et la plus touchante (pas la peine de nous montrer des corps en flammes). Car Raffi embarqué dans une quête solitaire, se trouve à son retour de Turquie, confronté à un officier des douanes – américain moyen, bien décidé à découvrir, lui, ce que le jeune homme est allé faire là-bas. Ce douanier, David, c’est nous, c’est le spectateur non averti qui n’a a priori aucun moyen de savoir si, au début du 20e siècle, un million de citoyens turcs arméniens ont étés tués par leur gouvernement, qui le nie encore à ce jour. Pour convaincre David qu’il n’est pas allé en Turquie trafiquer de la drogue, Raffi en vient à lui raconter l’histoire de son peuple, se l’expliquant enfin à lui-même. Placé dans une position où on doit le croire sur parole, il parvient à faire en sorte que sa parole compte. C’est tout ce qu’on attendait d’Egoyan.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents